La présence d’objets préhistoriques dans le sol du parc national d’Oka est connue des archéologues depuis les années 30. Jusqu'à ce jour, quelques milliers d’artéfacts ont été trouvés, laissant présager une occupation du territoire par les ancêtres des Amérindiens durant la préhistoire. Les fouilles des deux dernières années ont d’ailleurs contribué à l’avancement des connaissances à ce sujet.
En juin 2008, près d’une centaine de tessons de poterie amérindienne a été prélevée à la surface du sol, sur la rive du parc national d’Oka. La découverte de ces objets a été faite au pied d’un arbre mature, à même une aire de pique-nique très achalandée. D’ailleurs, certains tessons semblaient avoir déjà été écrasés. Plusieurs autres tessons étaient toujours protégés par le sable, bien qu’ils émergeaient partiellement à la surface. Cette protection semblait toutefois temporaire puisque l’érosion, les débordements printaniers du lac des Deux Montagnes et les pluies fortes menacent chaque année la berge, et ce, malgré la présence de structures de soutien.
Cette découverte fortuite promettait de relancer le débat sur l’hypothèse qu’une portion du site BiFm-1 serait considérée in situ, c’est-à-dire que les pièces trouvées seraient à l’endroit même où les groupes préhistoriques les auraient abandonnées.Le Code Borden BiFm-1 avait été attribué au site de la plage du parc national d’Oka dans le cadre de travaux archéologiques effectués par Létourneau-Parent en 1970 et 1971. Mme Loraine Létourneau-Parent était persuadée d’avoir découvert une soixantaine de tessons de poterie en contexte in situ. Malheureusement, les écrits qu’elle a laissés à ce propos sont imprécis et incomplets. En 1990, un autre archéologue du nom de Claude Chapdelaine a émis une hypothèse qui allait à l’encontre des découvertes de Létourneau-Parent. Selon lui, les Amérindiens s’étaient plutôt installés au sud de la plage actuelle, alors que le niveau de l’eau était plus bas. Un relèvement du niveau de l’eau aurait ensuite submergé le site initial, puis les courants, les vagues et peut-être même les glaces auraient transporté les objets sur la rive.
Par ailleurs, un autre inventaire archéologique effectué par le parc en 2007 avait permis de découvrir des artéfacts amérindiens dispersés le long de la plage, sans qu’aucun ne soit en contexte in situ. Francis Bellavance, garde-parc naturaliste et archéologue, avait alors suggéré que l’occupation préhistorique pourrait avoir eu lieu au nord de la plage actuelle et à une altitude plus élevée. Les artéfacts se seraient ainsi retrouvés sur la plage suite à l’érosion de la rive. Cette hypothèse était motivée par la découverte récente d’un second site préhistorique (BiFm-8) sur le territoire du parc, à environ 4 mètres au dessus du niveau de la plage.
Inventaire archéologique sur la plage en 2007
Au cours des étés 2008 et 2009, le parc national d’Oka a effectué des travaux afin de retirer les vestiges émergeants à la surface du sol et ceux qui pouvaient se trouver en dessous pour les protéger de l’érosion par l’eau et le piétinement. Il était aussi question de vérifier l’existence d’une portion in situ du site BiFm-1 sur la rive et ainsi tenter de confirmer l’hypothèse émise en 2007.
Des puits de 1m² ont été identifiés puis subdivisés en quadrant. Leur fouille s’est déroulée en fonction de niveaux arbitraires de 0-5 cm, 5-15 cm et 15 cm et plus. Ces subdivisions horizontales (quatre petits carrés de 50 cm de côté) et verticales (trois niveaux de profondeur) visaient à connaître avec précision la position des objets à l’intérieur du puits. Le sol a été gratté avec minutie à l’aide d’une truelle et d’outils plus grossiers dont l’utilisation était possible entre 20 et 45 cm à cause de la rareté d’artéfacts à cette profondeur. Un tamisage au huitième de pouce (3,17 cm) de tous les sols excavés a permis d’assurer une double vérification. Chaque artéfact important ou chaque groupe d’artéfacts ont ensuite été identifiés à l’aide de fiches de terrain. Ces fiches permettaient aussi de localiser l’emplacement initial des objets récupérés.
Le premier puits a révélé un total de 1699 tessons de poterie préhistorique. Parmi ceux-ci, 16 étaient des tessons de bord, 804 étaient des tessons de corps décorés et 879 étaient des tessons de corps non décorés. Les tessons de bord sont les artéfacts les plus importants trouvés lors de cette fouille. En effet, le haut des pots est généralement décoré de motifs divers et sa forme varie grandement. Or, ces variations sont de bons indicateurs de l’époque où chaque vase a été fabriqué. Contrairement aux tessons de bord, les tessons de corps sont fracturés de manière à ce que la finition du rebord ne soit pas apparente. Des regroupements basés sur des ressemblances dans la pâte utilisée, la forme des parois et les décors ont permis d’attribuer plusieurs tessons à deux vases distincts. La présence d’une majorité de tessons qui ne leur a pas été associée laisse supposer que plus de deux vases étaient aussi présents à l’intérieur du puits fouillé. L’un des pots identifiés était relativement épais (1,6 cm d’épaisseur), ses parois intérieures et extérieures étaient en partie décorées d’impressions qui auraient été réalisées à l’aide d’une corde enroulée autour d’un bâtonnet. Ce type de décoration (empreintes à la cordelette) était d’usage fréquent au cours de la période du Sylvicole Moyen tardif (1500 à 1000 ans avant aujourd’hui). L’autre pot, à paroi plus étroite (0,7cm), était décoré d’empreintes ondulantes caractéristiques du Sylvicole Moyen ancien (2400 à 1500 ans avant aujourd’hui). Le deuxième puits, fouillé en 2009, a aussi dévoilé de nombreux fragments de poterie; leur analyse est en cours.
Tesson de poterie Tesson de poterie
Sylvicole Moyen ancien Sylvicole Moyen tardif
Les travaux de 2008 ont aussi mis à jour une fosse dont la profondeur atteignait 18cm. Décelée dans un seul quadrant, elle semblait cependant se prolonger au nord et à l’ouest du puits. Cette dépression ancienne était, au moment des fouilles, remplie d’un sol noirâtre contrastant avec le sable clair environnant. La fabrication de cette structure a été attribuée aux Amérindiens qui auraient visité le site au Sylvicole Moyen, car la majorité des tessons étaient localisés dans le même quadrant; certains tessons semblaient littéralement couchés dans le fond de la fosse. Cette structure pourrait avoir servi à la cuisson de poteries. En effet, plusieurs tessons présentent des traces de noircissement dû à la cuisson dans un feu. Certains ont même les côtés noircis, indiquant que l’action du feu s’est manifesté une fois le vase cassé. Quelques tessons présentaient une exfoliation (détachement complet d’une des parois). Ce type de cassure peut être le résultat d’un éclatement au moment de la cuisson à cause d’un séchage préalable insuffisant. Une fois le vase fracturé, les tessons étaient abandonnés dans la fosse qui servait à contenir le feu. Ainsi, plusieurs tessons d’un même vase peuvent s’y retrouver groupés.
Fosse ayant possiblement servie à la cuisson de la poterie
(en haut, à droite)
De ces fouilles, trois observations permettent de corroborer avec un bon degré de certitude l’hypothèse qu’il existe bel et bien une portion in situ au site BiFm-1. D’abord, un très grand nombre de tessons de poterie sont situés à l’intérieur d’un seul puits de 1m² et sont concentrés à une même profondeur, soit le niveau supérieur de 0 à 5cm de sol. Ensuite, plusieurs tessons appartenaient à deux pots distincts, indiquant un très faible déplacement suite à leur abandon. Finalement, les tessons sont associés à une structure (fosse), laquelle ne peut pas avoir été déplacée par des forces naturelles, ce qui signifie qu’ils y ont été abandonnés.
Afin de concilier la protection du site archéologique, l’acquisition de connaissances sur l’histoire ancienne du parc et l’éducation, une nouvelle stratégie d’intervention a été instaurée depuis l’été 2009. Une fouille à proximité du premier puits excavé s’est poursuivie avec, cette fois-ci, l’aide du public: des amateurs d’archéologie et des curieux. Cette activité à la fois formative et ludique souligne août, le mois de l’archéologie au Québec. Le parc national d’Oka et ses visiteurs poursuivront les travaux entamés tant que des fouilles à proximité des premiers puits dévoileront, après quelques coups de truelle, d’autres vestiges du passé.
Fouilles avec le public, en 2009
Autres réalisations :
Inventaire exhaustif de la flore et des groupements végétaux du parc
Inventaire des nichoirs à canards branchus
Suivi de la mortalité routière des amphibiens et des reptiles
Inventaire de la héronnière de la Grande Baie
Suivi des chauves-souris
Bellavance, F. et V. Vermette, 2010 "Des travaux archéologiques sur les berges du lac des Deux Montagnes" Bulletin de conservation Les parcs nous ont dévoilé... Réseau Sépaq, Parc Québec, pp. 24 et 50
Par Francis Bellavance, garde-parc naturaliste et Véronique Vermette, responsable du service de la conservation et de l’éducation, parc national d’Oka